L’uniformisation des lois fiscales: nouvelles libertés perdues ?

Il est temps de se demander si les idées protectionnistes de nos amis de l’OCDE justifient réellement la perte de notre autonomie législative

A une époque où la pratique de l’optimisation fiscale n’était pas encore un outrage à la bienséance, l’objectif des accords fiscaux bilatéraux entre Etats était de protéger le contribuable de multiples impositions.

Depuis peu, bien des Etats ont réorienté leur philosophie. Ainsi, les pays membres de l’OCDE et du G20 ont élaboré le projet Base Erosion and Profit Shifting (BEPS), qui a pour but de remplacer les accords en vigueur par une convention multilatérale régissant l’imposition des entreprises.

La volonté de l’OCDE est claire: «Dans un monde de plus en plus interconnecté, les lois fiscales nationales ne sont plus en phase avec les multinationales, la mobilité du capital et l’économie numérique, créant des failles qui peuvent être exploitées par les entreprises pour échapper à l’impôt dans leur pays d’origine en transférant des activités à l’étranger vers des juridictions où la charge fiscale est faible ou nulle. Ces pratiques nuisent à l’équité et à l’intégrité des systèmes fiscaux.»

Les mesures étudiées dans le cadre du BEPS auront donc pour but de tempérer l’optimisation fiscale et d’uniformiser les lois des Etats contractants, afin d’éviter qu’une entreprise ne puisse bénéficier d’un régime fiscal considéré comme trop attractif.

Swiss Respect relève que la Suisse, trop bonne élève, s’applique à honorer la volonté des autres Etats de l’OCDE en s’imposant d’importants changements de sa législation. Actuellement, le droit suisse connaît plusieurs statuts fiscaux privilégiés accordés aux sociétés qui n’exercent pas ou peu d’activité commerciale en Suisse. Par exemple, le statut de société holding, instauré afin d’éviter la triple imposition économique, ou encore le statut de société de domicile, qui octroie une réduction fiscale cantonale en fonction de l’importance de l’activité exercée en Suisse.

Selon la Commission européenne, ces allégements seraient assimilables à une aide d’Etat, contraire à l’accord de libre-échange signé entre la Suisse et l’UE. Ces régimes d’imposition seront abrogés, comme en témoignent les travaux de la Confédération en vue de la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), qui se veut volontairement BEPS-compatible.

Pour satisfaire l’Europe, la Suisse s’emploie donc à une révision partielle de sa loi fiscale, paradoxalement intitulée «Mesures visant à renforcer la compétitivité fiscale de la Suisse». Parmi les changements envisagés pour remplacer les statuts fiscaux privilégiés, citons l’introduction des licences boxes ou la réduction des taux d’imposition sur le bénéfice.

Ce concept de licence box n’est pas inédit, ce régime fiscal existant dans plusieurs pays de l’OCDE. A priori, ce point de la réforme n’est donc pas une réelle arme concurrentielle. De plus, les licences boxes risquent de souffrir de l’appréciation de «l’activité substantielle», dont la définition BEPS est bien vague.

Quant à la réduction de l’impôt sur le bénéfice, les seuils minimaux devront être âprement discutés au sein de l’OCDE. Nous pouvons seulement espérer que les taux envisagés par nos cantons seront acceptés et qu’ils n’empêcheront pas les filiales suisses de bénéficier des avantages conventionnels, compte tenu du renforcement à venir des règles sur les sociétés contrôlées.

En vérité, la RIE III propose une adaptation de la fiscalité helvétique aux exigences de l’OCDE et non pas une réforme qui permettrait de soutenir la concurrence avec les pays environnants. Si la Suisse s’aligne sur les taux et les régimes d’imposition appliqués au sein de l’OCDE, parfois exagérés, comment peut-elle prétendre «renforcer sa compétitivité»?

Suite à l’adoption des standards d’imposition de l’OCDE, il ne restera probablement à la Suisse comme liberté d’action que la possibilité, limitée, de fixer ses taux d’imposition.

Moins néfaste – mais liberticide! – est la remise en cause indirecte par le projet BEPS de la méthode de l’exemption, appliquée par la Suisse, qui permet la suppression de la double imposition du bénéfice des sociétés, mais n’évite pas la non-imposition. A ce jour, l’OCDE n’en demande pas la suppression, mais propose d’importants correctifs, afin d’éviter qu’il n’y ait pas ou peu d’imposition dans l’Etat de la source. Au vu de la philosophie BEPS, nous pouvons nous attendre à ce que cette pratique disparaisse. Il s’agit là potentiellement d’un pas supplémentaire vers l’ultra-réglementation communautaire.

A l’évidence, les travaux de l’OCDE tendent à uniformiser le droit interne des pays adhérents. D’où la disparition d’une vraie concurrence fiscale, si saine soit-elle pour la prospérité économique. Après l’abandon du secret bancaire et l’adhésion aux standards d’échange automatique d’informations, Swiss Respect juge qu’il est temps de se demander si les idées protectionnistes de nos amis de l’OCDE justifient réellement la perte de notre autonomie législative, de notre identité et de notre dynamisme économique.

* Fiscaliste chez Fidag SA, membre de Swiss Respect

A l’évidence, les travaux de l’OCDE tendent à uniformiser le droit interne des pays adhérents

Source : https://www.letemps.ch/economie/luniformisation-lois-fiscales-nouvelles-libertes-perdues

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